Accueil > printemps 2021 / N°60
Germinal : La grosse tête
Les requins du marketing ont une nouvelle arme : le « growth hacking » ou piratage de croissance. En gros, il s’agit de vendre du vent en brassant du vent. Mais le pire c’est que ça peut rapporter gros. Germinal, une boîte créée à Grenoble, en a fait son fonds de commerce pour le plus grand bonheur de son fondateur, Grégoire Gambatto, un « influenceur » au melon toujours en pleine croissance.
Voulez-vous devenir un « monstre d’influence sur Linkedin », ce réseau social réservé au monde professionnel ? Si jamais l’envie vous prend, une formation existe pour vous. Elle s’appelle « devenir un monstre d’influence sur Linkedin grâce à la méthode GGGG (Grégoire Gambatto, le Goéland du Growth) » et coûte seulement 850 euros. Vous pouvez aller voir sur internet, hein, la formule « goéland du growth » est authentique et symbolise assez bien le bonhomme. Grégoire Gambatto est un jeune homme originaire de Vif, « dans la pampa à côté de Grenoble » selon ses propres mots, qui a percé grâce au réseau social Linkedin et au « growth hacking », soit le pire du marketing.
C’est Gambatto qui en parle le mieux, en expliquant comment tout ça a commencé, quand il n’était alors qu’un petit provincial membre de l’espace de travail partagé Cowork in Grenoble. « Pour un projet, nous cherchions un stagiaire. Grâce à une annonce Facebook originale, que nous avons commentée grâce à des comptes créés pour l’occasion, nous avons fait un mini-buzz grâce à l’algorithme du réseau social. Cela nous a permis d’avoir des articles de presse, et donc des clients » (L’Essor 28/02/2019). Faire mumuse avec des faux comptes, des « mini buzz » et des « algorithmes », ça peut rapporter gros : Gambatto a créé sa boîte Germinal, a émigré de Grenoble à Paris et emploie maintenant une trentaine de personnes pour vendre ce genre de service marketing immoral certes, mais avant tout innovant – et voilà l’important. « C’est une équipe de rock stars ! », commente une cheffe marketing sur leur site internet. Tellement que maintenant, il faut candidater et être sélectionné par Germinal pour devenir client.
Germinal vend aussi très bien ses salariés, comme Alain qui propose une formation d’un mois pour lancer son site de vente en ligne : « Alain […] n’a pas fait d’études, ne sait pas coder, et n’est pas designer d’objets. Pourtant ses boutiques lui rapportent 300 000 € par an. » Les formations achetées chez Germinal sont des vidéos tournées par les salariés, présentant leur taf, et expliquant comment faire plus ou moins pareil. On peut devenir un pro des pubs sur Facebook grâce à Laura (pour seulement 700 €), optimiser ses pubs sur Google (par Benjamin, 250 €) ou donc devenir « monstre d’influence sur Likedin » grâce à notre goéland du growth.
Car Linkedin est le terrain de jeu favori de Gambatto. Sur ce réseau social, il met en scène son personnage de businessman « provincial », photos de tracteur ou de trip à vélo à l’appui, et se glorifie d’avoir « cumulé en 2020 sur ses publications plus de 22 millions de vues, pour 180 000 likes et plus de 45 000 commentaires ». Pour devenir un « monstre d’influence », il n’hésite pas à utiliser quantité de mots obscurs : dans l’un de ses posts, il explique que telle chose est « hors de mon scope », que, parfois, il « force un peu sur le spectre », et que ce truc « est un peu sur-leg » (on n’a toujours pas compris). Le but étant toujours de créer du business, une vocation qui semble venir de loin : il raconte que gamin « j’essayais déjà de vendre des trucs à mes parents en CM1, et d’échanger des cartes Pokémon en mode retour sur investissement. Je pense que c’est pathologique à ce niveau-là. » [1]
Parmi ses multiples titres de gloire,il s’est auto-proclamé « l’homme que vous allez adorer détester sur Linkedin ». Le bonhomme assume le choix « d’être clivant » dans ses posts. Dans une interview [2] du 18 novembre 2020, il évoque ses problèmes avec les « haters », ces personnes qui le haïssent en ligne. Un jour de 2020, il reçoit ce message sous un de ses posts : « Bonjour Grégoire, au nom de tout Linkedin, je te demande de fermer ta gueule une bonne fois pour toutes […] Tes posts sont plus insupportables de connerie et de nombrilisme les uns que les autres. » Le commentaire marche bien : « Quand tu as un commentaire haineux qui a 200 likes… je suis terrassé. Ça fait cinq ans que tu rames comme un malade, et tous tes efforts détruits d’un coup ? Est-ce que je suis pas en train de devenir la risée du monde entier ? », soupire-t-il.
En tout cas, il est devenu la risée de Facebook, via la page « Neurchi de Linkedin » qui recense les textes absurdes publiés par le monde entrepreneurial (« neurchi » étant le verlan de « chineur », soit les gens aimant découvrir des objets originaux dans les brocantes). Cette page Facebook a fait rire Gambatto, au début. « Je n’y vais plus, parce que… », évoque le chef de Germinal. « Ouais tu sais que tu te fais détruire », finit l’intervieweur. Le serpent de l’influence se mord la queue. Mais pour être honnête, il aime être détesté, parce que ça fait aussi du trafic sur ses pages et que ça lui rapporte donc de l’argent. Le journaliste Léon Zitrone assurait « qu’on parle de moi en bien ou mal, peu importe. L’essentiel c’est qu’on parle de moi ! » Et ce n’est pas l’égo de ce goéland de l’ineptie qui le contrariera.