Accueil > Printemps 2023 / N°68
Le RER, une fausse solution ?
Du sirop de menthe dans un verre de poison
Suite à notre brève du dernier numéro, « Le RER : encore une fausse solution », nous avons reçu des « éléments de réflexion » du Collectif pour la gratuité des transports publics de l’agglomération grenobloise (CGTPAG). Pour continuer la réflexion, nous nous permettons de parsemer ce texte (à peine abrégé) de quelques commentaires.
« Rien ne prouve votre affirmation « le RER parisien a permis avant tout à la ville de s’étendre et aux employés d’avoir la joie d’habiter à deux heures de transport de leur lieu de travail », ni ne permet de généralisations comme vous le faites. « Avant tout » se discute, car très souvent l’augmentation du nombre de voitures et l’étalement urbain ont précédé le développement des transports collectifs. En 2018 en Île-de-France, il y a 15 millions de déplacements en voiture et 10 millions de déplacements en transports collectifs, en 1976 ces chiffres étaient respectivement 10 millions et 5 millions. C’est donc la voiture qui est en tête, nettement devant les transports collectifs. Les exemples abondent de villes qui s’étendent énormément avec des transports collectifs inexistants ou insuffisants. [...]
Le raisonnement « développer les transports collectifs provoque le développement des métropoles » revient en fait à faire payer aux populations une situation qu’elles subissent [1] « Arrêter d’être attractifs » ne dit rien de ce qu’il faut faire concrètement, et là-dessus vous êtes particulièrement silencieux [2].
Les infrastructures de transports collectifs dépendent aussi des actions menées par la population. Le tracé de la ligne A qui va d’Échirolles à Fontaine en traversant des quartiers populaires n’allait pas de soi, l’accessibilité du tramway pour les personnes à mobilité réduite a été le résultat d’une lutte forte menée entre 1978 et 1984. S’il y a un jour la gratuité et le développement des transports collectifs, cela sera aussi dû aux actions menées depuis des années par de nombreuses organisations dont notre collectif. Il y a aussi régulièrement des luttes de collectifs pour obtenir de nouvelles infrastructures de transport, dont celui de l’Etoile de Veynes. Si on suit votre raisonnement, la réouverture de la ligne Grenoble-Gap est une mauvaise nouvelle car facilitant les déplacements. Nous pensons de notre côté que le maintien de cette ligne est une belle victoire [3].
Il y a une urgence à sortir de la voiture comme mode de transport dominant. Il y a 350 000 voitures qui rentrent et qui sortent chaque jour de l’agglomération grenobloise. À côté de cela, il y a aussi des dizaines de milliers de personnes qui ont du mal à se déplacer, car avec des revenus très faibles ou faute de transports collectifs accessibles. Comment permettre à tout le monde de se déplacer dans de bonnes conditions ? Si on ne développe pas les transports publics avec la gratuité ou des tarifs très bas, que fait-on ? On laisse les gens avec leurs problèmes ? On leur demande de s’en aller ? Si le RER est une fausse solution, quelles propositions mettez-vous en débat ?
Il est important de se poser la question de la forme concrète que va prendre le futur RER. Comment réduire le besoin de déplacements, favoriser des services publics de proximité avec un accueil de qualité ? Quel développement économique pour les villes moyennes ? Cela devrait être discuté largement, avec les habitants, les usagers, les cheminots. [...]
Pour conclure, la question des transports collectifs mérite mieux que des affirmations à l’emporte-pièce [4]. Notre collectif essaie de son côté de construire des argumentaires et de mobiliser le plus largement possible pour se transporter mieux, en conciliant bien-vivre et respect de la planète. »
Notes
[1] Nous ne pensons pas que le développement des transports collectifs « provoque » le développement des métropoles, mais qu’il l’accompagne. Effectivement, il y a des métropoles sans transport collectif efficient et Paris n’a pas attendu le RER pour s’étendre. Et bien entendu, tout projet de transport collectif est plus souhaitable que le moindre investissement routier. On remarque juste que ces projets enrobent d’une plus-value « soutenable » les projets de développement urbains et industriels. Vous n’êtes pas sans savoir que les deux usines à puces du Grésivaudan, STMicro et Soitec, ont de grands projets d’extension, entraînant des casse-têtes à venir pour l’organisation des déplacements ou de l’urbanisation. Lors de la séance du conseil communautaire du Grésivaudan du 16 décembre 2022, le directeur des opérations immobilières de Soitec, Cyril Menon, est venu présenter les projets d’extension. Dans les discussions qui ont suivi, la question du RER est revenue souvent, dans sa bouche ou celle des élus. Le président de la communauté de communes Henri Baile a ainsi déclaré : « Le problème du développement du Grésivaudan passe aussi par le RER, qui doit s’accélérer. Sinon on risque de se trouver en difficulté dans les années qui viennent. » Ainsi, grâce aux RER, les usines pourront continuer à s’étendre, attirant sans cesse de nouveaux hauts-revenus mitant le territoire et artificialisant encore des terres agricoles. Bien entendu, la même situation pourrait advenir sans le RER. Mais celui-ci « verdira » le saccage exponentiel de cette vallée.
[2] C’est vrai que le mot d’ordre « arrêter d’être attractif » ne répond pas à la question « que faire ? », mais à celle, plus pertinente aujourd’hui de « que défaire ? » (titre d’un livre instructif de Nicolas Bonanni paru aux éditions Le monde à l’envers en 2022) . En l’occurrence, on pense que l’urgence, c’est de sortir de l’imaginaire de la « Silicon valley à la française ». Il ne peut pas y avoir de croissance infinie dans une cuvette finie. Le développement permanent des industries high-tech saccage notre territoire, attire des hauts revenus façonnant l’aménagement des villes et n’offre en miettes que des emplois inintéressants pour les plus pauvres. Allez, rêvons un peu et imaginons un changement radical d’imaginaire. Imaginons le Grésivaudan rempli de maraîchères, de petites usines produisant des pièces pour vélo, d’ateliers de réparation divers, de tissage de laine, etc. Dans cette configuration, l’augmentation de la fréquence des trains, appelés RER ou pas, pourrait ne pas avoir d’effet pervers. Militer pour le RER sans remettre en cause les logiques de développement et de fuite en avant qui animent pour l’instant notre territoire, c’est comme vouloir mettre du sirop de menthe dans un verre de poison.
[3] Nous sommes du même avis. Néanmoins nous sommes dubitatifs sur les cadences annoncées dans le projet de RER d’un train toutes les demi-heure aux heures de pointe pour la ligne Grenoble-Clelles. Si ce projet aboutissait, avec ces mêmes logiques d’attractivité métropolitaine, il y a fort à parier que le Trièves accélèrerait sa mutation en banlieue de Grenoble, avec l’urbanisation qui va avec.
[4] Pour sortir des « affirmations à l’emporte-pièce », et savoir que défaire, se reporter à nos 67 numéros déjà parus, et aux multiples (trop) longs articles questionnant les logiques de développement de notre cuvette. Le RER est déjà porté par tous les élus locaux (de gauche, de droite et d’ultra-centre) et même par Macron et son gouvernement. Le 1er décembre dernier, 150 patrons des plus grosses boîtes de la Cuvette se sont réunis autour du président de la Métropole pour porter un « plaidoyer » en faveur du RER. Comment ne pas s’étonner que votre collectif regroupant des syndicats et des partis de gauche plaide à l’unisson de ces grands patrons ? Réclamer la gratuité de l’éventuel RER est une chose, apporter votre caution « contestataire » à ce projet consensuel en est une autre. Vos combats sur la gratuité des transports collectifs ou contre la ZFE nous semblent bien plus pertinents.