Des écureuils coulés dans le béton
Qui a dit qu’on ne construisait plus dans la métropole ? Des grues et des bétonnières, il y en a presque à chaque coin de rue. Dans cette course à l’artificialisation des derniers espaces verts, Échirolles se démarque sérieusement ces dernières années. Dans les quartiers sud de la ville communiste, plutôt « tranquilles », les promoteurs sautent sur le moindre espace non urbanisé pour faire pousser un « ensemble immobilier » potentiellement rentable. Partout ailleurs, de grands projets poussent dans des cadres autrement bucoliques, entre rocade, voie ferrée et grands boulevards. Petit tour dans la frénésie immobilière échirolloise.
Ce n’est pas sûr, mais Échirolles doit sans doute son nom aux écureuils. Le latin scuriolus, d’où viendrait le nom de la seconde ville du département, désigne un « lieu où il y a des écureuils ».
Enfin, ça c’était avant, à l’époque de la petite bourgade de quelques centaines d’habitants. Depuis, le béton a envahi à peu près tout le territoire, 2 800 habitants en 1945, 15 000 en 1968, 33 000 en 1975, 36 000 et quelques aujourd’hui. Et puis la plus grande zone commerciale de l’agglomération (Comboire), et puis des zones d’activité, et puis presque plus un seul espace vert.
Alors des écureuils, il n’y en a presque plus. Dans le sud-est de la ville, il y a bien un petit parc, qui porte leur nom, mais ses jours sont comptés. Dans quelques années, il aura laissé la place à un projet immobilier de 75 logements.
Pour l’instant, dans ce parc, il y a juste un centre social. Ateliers, halte-garderie, ludothèque, restaurant pour personnes âgées : un lieu qui brasse plein de gens. Le bâtiment, un peu vieillot, pourrait simplement être rénové. Mais cela ne rapporterait pas beaucoup d’argent.
Alors la mairie a décidé de rayer de la carte le centre social et le parc pour mettre plus de béton. Le centre social sera reconstruit en plus petit, passant de 860 m2 à 570 m2. La halte-garderie sera déménagée dans un autre quartier. Le parc passera lui de 4 000 m2 à 1 300 m2, et encore : il sera parsemé d’allées de circulation.
Tout ça donc pour un projet de 75 logements, mené par la Safilaf (promoteur immobilier) et la SDH (Société dauphinoise pour l’habitat). Au départ il y en avait 96. Hervé fait partie du collectif Bien vivre à la Buclée, des habitants échirollois opposés à ce projet : « Ils ont été malins. Pendant la concertation, ils nous ont proposé deux scénarios avec 96 logements ou 75. Mais en fait le scénario ne rentrait pas dans le cadre du PLU (Plan local d’urbanisme), donc ils nous ont fait croire que c’était une concession de choisir le scénario à 75 logements, mais c’était cousu de fil blanc. »
Dans le bulletin municipal Cité Échirolles de décembre 2017, le maire communiste Renzo Sulli se vante : « La participation est le fondement de notre action ». C’est beau comme une belle langue de bois. « C’était une concertation en entonnoir, où ils amènent les gens là où se trouve leur intérêt, poursuit Hervé. Ensuite on a demandé un rendez-vous au maire, qu’on a jamais eu. On a fait des rassemblements devant le conseil municipal, ça n’a rien changé. On en est réduit à tenter un recours au tribunal administratif. »
Geneviève fait aussi partie du collectif Bien vivre à la Buclée : elle habite juste à côté du parc depuis presque toujours. « Jusqu’en 2000, il y avait des vaches, des vignes, juste à côté d’ici. Maintenant tout a été urbanisé. Il ne reste plus que ce parc ». Un parc où il y a encore des hérissons, des écureuils, des chauves-souris, des oiseaux. Un parc de proximité, où les enfants, nounous, familles, visiteurs, viennent se détendre, goûter et même pique-niquer. Et puis un grand cèdre presque centenaire, qui va tomber quand les travaux vont commencer, tout comme 18 autres beaux arbres du parc.
Le sud-est d’Échirolles, c’est le quartier le plus « aéré » de la ville. Un des moins pauvres aussi. Là où il y a le plus de maisons, là où il y a le moins de grandes barres. C’est donc un endroit intéressant pour les promoteurs, qui essayent d’exploiter toutes les « dents creuses ». En plus du projet des Écureuils, il y a le projet Riquet juste à côté pour 35 logements. Le projet Carré Village, un peu plus loin, avec 60 logements. À quelques centaines de mètres, le projet Collot, jouxtant les ruines d’une ancienne commanderie des Templiers, datant du Moyen-Âge. Et puis le projet Karting, 200 logements. Et puis celui sur l’ancien site de Colas, plus de 250 logements prévus, pour l’instant en suspens.
« Ici c’est le seul endroit d’Échirolles qui a une bonne image. Il y a de l’eau, du vert, de l’air. Alors les promoteurs grignotent peu à peu tous les terrains restants », se lamente Marc Mingat, habitant du quartier et président du Réseau citoyen. Comme les membres du collectif Bien vivre à la Buclée, il s’interroge sur les liens entre les promoteurs et la Ville d’Échirolles. La Safilaf, la SDH, MV Résidences ou une des autres boîtes dirigées par Charles Messina : ce sont souvent les mêmes noms qui bétonnent. « C’est évident qu’il y a des arrangements, mais impossible de savoir à quelle hauteur. J’ai été cofondateur – avant de le quitter - du Parti de gauche à Echirolles, et de l’Apage (association des amis du Parti de gauche à Échirolles). Je peux témoigner que MV résidences, la boîte de Charles Messina, nous avait fait un chèque de 1 000 euros. Après, est-ce qu’il en fait au Parti communiste ou à leurs amis ? J’en sais rien. »
Le béton ne coule pas que dans ces quartiers relativement préservés à Échirolles. Dans Le Daubé (15/01/2018), le maire Renzo Sulli annonce la couleur : « On entend dire qu’on “bétonne”, mais il faut répondre aux besoins de logement de la population. Car l’espérance de vie est plus longue (…) et la cellule familiale a changé, au lieu d’une famille de quatre personnes, on a souvent deux et deux. Il faut donc construire, sinon ça voudrait dire qu’on dit aux Échirollois : “Partez ailleurs” ».
En vérité, le maire a surtout pour souci de ne pas se faire dépasser en nombre d’habitants par Saint-Martin-d’Hères et de rester la deuxième ville du département... Alors pour retenir quelques Échirollois et surtout attirer ceux qui ne peuvent pas se loger ailleurs, la mairie bétonne de partout. Et là où il n’y a pas de voisins, les projets urbains sont autrement plus délirants que dans le sud de la ville. Juste à côté de la rocade, la mairie a mis en œuvre le projet Ravetto : 226 logements réalisés par la SDH et la Safilaf. Une connaisseuse du dossier nous glisse : « C’est marrant : en ce moment on détruit des barres à la Villeneuve parce que c’est trop dense. Et là on reconstruit exactement le même genre de logements, sauf qu’au lieu d’être à côté d’un parc, ces logements sont à côté de la rocade, de la voie ferrée, et d’un boulevard ». Au petit jeu des comparaisons avec la Villeneuve dénigrée aujourd’hui, remarquons que les futurs habitants n’auront ni tram ni commerces ni services à proximité.
Les travaux ont débuté en décembre sur ce terrain, et préfigurent les bouleversements que va connaître ce secteur de la ville, appelé à devenir la « centralité sud » de la Métropole, l’un de ses « futurs pôles stratégiques », selon les documents de communication, qui préfèrent parler « centralité » et « pôle » plutôt que du bonheur des habitants.
Juste à côté de Ravetto, un « nouveau quartier » devrait voir le jour d’ici une dizaine d’années avec quelques commerces, des « activités tertiaires », 480 logements et « 10 000 m2 de résidences services dont la moitié réservée aux seniors ». Ce « quartier » entourera le nouveau centre de recherche de la multinationale Artelia (spécialisée dans l’hydraulique) et prendra la place d’un bout de forêt en friche. Un peu plus loin, plusieurs centaines de logements devraient également pousser autour du site d’Atos Origin. « C’est complètement démesuré, poursuit notre connaisseuse. On construit bien plus que la demande. En ce moment, le neuf a vraiment beaucoup de mal à se vendre à Échirolles. Dans les dernières années, beaucoup de logements qui devaient être vendus en neuf ont en fait fini en logement social. »
Faire des logements sociaux dans une métropole où nombre de demandeurs n’ont pas de réponse, c’est plutôt une bonne idée, non ? Le problème, c’est qu’Échirolles a déjà 40 % de logements sociaux, et que c’est loin d’être le secteur le plus demandé de l’agglomération. Plutôt que de toujours construire, « l’urgence serait plutôt de rénover sérieusement et de rendre de nouveau “attractifs” les logements sociaux existants, dont pas mal se trouvent dans des quartiers où presque plus personne n’a envie de venir habiter », selon Lydie, une travailleuse sociale échirolloise. L’adjoint à l’urbanisme Emmanuel Chumiatcher n’a pas la même vision : « Aujourd’hui, à Échirolles, le logement social est devenu une pompe aspirante aux plus bas revenus de l’agglomération. (…) Pour que les bailleurs ne perdent pas leur capacité à investir, il faut continuer à construire sur la ville. Ainsi, ils pourront supporter une vacance de logements et avoir des stratégies de peuplement, de mixité sociale » (Le Daubé, 8/07/2016).
Une fuite en avant pour Lydie, qui conclut : « construire des nouveaux quartiers pour soi-disant régler le problème de la mixité, cela obéit juste à des questions de stratégie financière. Mais c’est refuser d’affronter les problèmes en face. De toute façon, il n’y aura bientôt plus aucun espace disponible sur la commune. Alors il faudra bien envisager une autre logique. »