Accueil > Automne 2017 / N°42

Colas-Roy et les prud’hommes : un amour impossible

Comme tout bon macroniste, Jean-Charles Colas-Roy est censé ne pas trop aimer les méchants prud’hommes, qui embêtent tant de nos héros-chefs-d’entreprise. Et pourtant, le nouveau député de la troisième circonscription de l’Isère a attaqué H3C-énergies au tribunal des prud’hommes - entreprise qu’il a cofondée -, en lui demandant près de 400 000 euros. C’est l’histoire d’un amour impossible entre un homme et une institution judiciaire, un amour inachevé, un amour qui n’aurait jamais dû être connu.

Il est bien dans le moule macroniste, Jean-Charles Colas-Roy. Il a le même âge que le nouveau président de la République, et le même genre d’apparence physique : plutôt beau gosse et bien apprêté. Une belle tête de vainqueur. Surtout, il est représentatif du type de « société civile » que Macron a fait émerger : celle des winners.

Jean-Charles Colas-Roy a un parcours classique d’entrepreneur grenoblois. Fils de bonne famille (Papa est directeur d’agence de l’Urssaf) originaire de Nice, il arrive à Grenoble pour faire des études d’ingénieur à l’INPG (Institut national polytechnique de Grenoble). À la sortie de ses études, il n’a pas envie d’être salarié. Avec trois camarades de promotion, « on s’est retrouvés avec l’envie de ne pas aller dans des grands groupes, là où on avait fait nos stages, mais de créer quelque chose, rester dans l’esprit du bureau des élèves d’où on venait.  »
Il faut bien choisir un secteur de business : pour eux ce sera l’écologie technicienne. « En 2004, c’était déjà la première prise de conscience des enjeux des changements climatiques, l’ouverture des marchés de l’énergie à la concurrence, donc on a décidé de créer dans ce secteur d’activité, et ensuite on a réussi à suivre un marché prometteur.  » (1)
L’entreprise s’appelle H3C-énergies (H, C, C, C sont les quatre initiales des fondateurs) et se spécialise dans l’audit énergétique pour gros bâtiments. « Pendant cinq ans on a doublé le chiffre d’affaires et les effectifs chaque année. » Leur fait d’armes : avoir réalisé des «  diagnostics de performance énergétique  » sur des bâtiments prestigieux comme la Bibliothèque nationale de France ou le château de Versailles. Directeur général délégué de ce business florissant, Jean-Charles Colas-Roy est par ailleurs un bon joueur de tennis et de paddle-tennis. Un gendre idéal bien sous tous rapports, qu’on vous dit.

Mais un profil qui ne correspond pas vraiment à la sociologie de la deuxième circonscription, où il vient d’être élu député. Saint-Martin-d’Hères et Échirolles, les deux principales villes de la circonscription, sont des bastions communistes depuis toujours, cumulant autour de 40 % de logements sociaux. Il y a le campus et plein d’entreprises bien sûr, mais ces villes sont surtout connues pour leurs quartiers populaires et leurs faits divers.

Pas vraiment le terrain idéal pour un jeune winner macroniste. D’ailleurs Jean-Charles Colas-Roy n’habite pas dans sa circonscription, mais dans un appartement du centre ville de Grenoble. Sociologiquement, la première circonscription (comptant 560 chômeurs quand la deuxième en compte 1 400 selon l’Insee en 2014) lui aurait bien plus correspondu, mais la place macroniste était déjà prise par le médecin de Corenc Olivier Véran. Et puis Jean-Charles Colas-Roy n’est pas un nouveau venu en politique... Ce député «  issu de la société civile  », comme dit Le Daubé (3/07/2017) est déjà élu à Saint-Martin-d’Hères depuis 2014, sur une liste regroupant socialistes et écologistes. Certains de ses collègues au conseil municipal n’ont pas franchement apprécié son ralliement à En Marche. « Je considère que plusieurs actes posés par lui depuis son élection sont des dénis de ses positionnements antérieurs », nous a lapidairement répondu l’écologiste Georges Oudjaoudi.

Des différences entre les actes et les discours, il y en a d’autres, chez Jean-Charles Colas-Roy, notamment par rapport à l’évolution du droit du travail. Car la belle histoire d’H3C n’a pas duré éternellement. Malgré les dizaines de milliers d’euros du CICE (Crédit impôt compétitivité entreprise) et CIR (Crédit impôt recherche) – respectivement 90 189 euros et 80 079 euros pour l’année 2015 par exemple – les déficits s’enchaînent pour H3C : 212 000 euros en 2014, 1 059 000 euros en 2015. La «  croissance exceptionnelle s’est traduite par des tensions dans l’organisation » explique pudiquement le président Jean-Louis Brunet, un serial entrepreneur appelé à l’aide pour crédibiliser le business (Place Gre’net, 8/09/2016).

Heureusement un sauveur est arrivé : les Alsaciens de Socomec ont racheté 51 % puis 100 % des parts en 2016. Mais dans la bataille, Jean-Charles Colas-Roy est parti d’H3C. Ou plutôt, il a été licencié de « sa » boîte, douze ans après l’avoir cofondée.
Un épisode dont n’est pas très fier le nouveau député. Quand on l’appelle et qu’on évoque ce licenciement, il commence par nier : «  Non, je n’ai pas été licencié, il y a eu un accord avec la direction ».

Une affirmation étonnante : dans le dépôt de comptes d’H3C énergies de l’année 2015, il est écrit noir sur blanc que Jean-Charles Colas-Roy «  a fait l’objet d’un licenciement  ». Pourquoi affirmer l’inverse ? Quelques minutes après notre premier coup de fil, Jean-Charles Colas-Roy nous a rappelés pour revenir sur ses premières paroles : « Je tiens à vous préciser : oui, j’ai été licencié, je ne démens pas ce fait-là. Tout à l’heure j’ai dû vous répondre “non” parce que pour moi maintenant tout est réglé mais effectivement il y a d’abord eu un licenciement. »

Il faut excuser Jean-Charles Colas-Roy : c’est un nouveau député, et jusque-là il a pu dérouler sa biographie choisie sans qu’aucun journaliste ne l’embête avec des vieilles histoires. Il faut quelques années pour apprendre à gérer les questions gênantes. Mais pourquoi ce licenciement ? «  C’est assez classique, assure le nouveau député. Quand une société en rachète une autre et veut en prendre les rênes, elle peut se séparer des anciens dirigeants. Ça arrive souvent. »

Passons sur le fait que dans la plupart des rachats d’entreprises, il y a des accords sur le devenir des dirigeants plutôt que des licenciements. Et sinon, Colas-Roy a-t-il bien vécu ce moment ? A-t-il gardé de l’aigreur envers son ancienne entreprise ? «  Ah non, pas du tout, nous a-t-il répondu par téléphone. Je suis très fier de mon parcours dans cette entreprise. J’ai vraiment envie que ça réussisse, que ça continue à marcher. Depuis que je suis parti, je ne suis plus l’activité au quotidien, mais j’ai quand même de l’affection pour plein d’anciens salariés que je revois de temps en temps. »

En réalité, Colas-Roy a une curieuse façon de favoriser la réussite de son ancienne boîte : il l’a attaquée aux prud’hommes ! Un fait qu’il a nié totalement, lors des deux coups de fil cette fois-ci. «  Non je ne suis pas aux prud’hommes, il y a eu des différends mais on a trouvé un accord. Ce n’est pas à moi de commenter, je n’ai pas à en parler, la situation est aujourd’hui soldée, tout est réglé. »

Et pourtant ! En allant au tribunal, on peut obtenir un jugement rendu le 7 septembre 2016 d’une affaire opposant Jean-Charles Colas-Roy à H3C énergies. Un jugement en référé d’ailleurs très favorable au député, qui a obtenu quasiment tout ce qu’il demandait, c’est-à-dire «  une indemnité contractuelle spéciale de départ, soit la somme nette de 103 003,92 euros  », et le versement d’une « indemnité mensuelle de non-concurrence depuis le 5 mai 2016 [NDR : date de son licenciement effectif] jusqu’à la fin de la clause le 4 mai 2018, soit un montant de 3147,41 euros brut par mois  ». 103 000 euros net plus 75 527,84 euros brut, ça fait un joli pactole.

Mais Colas-Roy en aurait voulu encore davantage : en plus d’une procédure en référé, il avait également intenté une action prud’hommale sur le fond à H3C-énergies, demandant 84 975 euros net de «  dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle (15 mois) », 33 990 euros net pour «  dommages-intérêts pour préjudice moral lié aux conditions vexatoires et humiliantes ayant entouré l’exécution et la rupture du contrat de travail (6 mois)  », 11 330 euros net pour «  dommages et intérêts pour absence de visite médicale depuis le 27/09/2012 (2 mois)  », 43 543,82 euros brut pour « rappel de salaire pour heures supplémentaires (...)  », 18 661,98 euros brut pour « rappel de salaire pour non-respect du salaire minimum conventionnel (...) », et on vous passe les détails, les congés payés et primes de vacances afférents. En tout, il y en a pour 201 340 euros de demandes, auxquels il faut y ajouter les 178 527 euros de la démarche en référé. Demander 380 000 euros à une entreprise qui avait un chiffre d’affaires de 3,6 millions d’euros et un million d’euros de perte en 2015 - année où il était encore «  directeur général délégué à la gestion à l’administration et aux relations sociales » -, voilà une curieuse façon de favoriser la réussite de son ancienne boîte.

Début septembre, on avait appelé Cyril Cachat, directeur commercial d’H3C. Il n’avait pas vraiment été élogieux envers son ancien collègue Colas-Roy, «  quelqu’un qui a toujours voulu être en avant (…). Peut-être que la députation va lui apporter de la sagesse. Parce que là, il nous demande quand même une somme extravagante par rapport à notre chiffre d’affaires... »
Le recours aux prud’hommes pour des « demandes extravagantes  » peut surtout paraître inopportun pour un député En Marche. Pour Emmanuel Macron, « les indemnités aux prud’hommes sont l’un des blocages du marché du travail ». Les ordonnances sur la loi travail ont notamment pour but de limiter les recours aux prud’hommes et de plafonner les indemnités possibles. Dans le « premier compte-rendu de son activité  » de député, Jean-Charles Colas-Roy s’en félicite : «  Il y a aussi un barême des indemnités prud’hommales et plus de priorisation donnée au fond de l’étude d’un licenciement plutôt qu’à la forme, ce qui mettait dans l’insécurité certains chefs d’entreprises qui étaient souvent condamnés sur des processus de forme, alors que le fond était moins important ». Les ordonnances prévoient que pour un salarié ayant douze ans d’ancienneté, le cas de Colas-Roy quand il a été licencié, les indemnités maximales de licenciement ne dépassent pas onze mois de salaire. Lui demandait quinze mois de son salaire à 5 665 euros rien que pour les « dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle  ». En tout, les 380 000 euros de ses demandes diverses équivalent à 67 mois de son salaire ! De quoi « mettre dans l’insécurité » les chefs de son ancienne entreprise.

Heureusement pour les dirigeants d’H3C, Colas-Roy est devenu député et donc plus «  sage ». Imaginez si la presse était tombée sur ce procès ! Imaginez les gros titres : «  Le macroniste qui aimait les prud’hommes  »... Un courrier de l’avocat de Colas-Roy du 5 septembre a donc informé le tribunal « de son désistement d’instance et d’action au motif qu’un accord est intervenu entre les parties ». Il n’y a donc a priori plus de procédure en cours aux prud’hommes entre Colas-Roy et H3C. Quel accord a été trouvé ? Mystère. Cyril Cachat, l’ex-associé du député, nous a assuré ne pas avoir été mis au courant par la nouvelle direction. Il n’a pas non plus voulu nous en dire plus sur la «  cause réelle et sérieuse » du licenciement de Colas-Roy : « Ce que je peux dire c’est que le comportement de mon ancien collègue est profondément contraire à mes valeurs et à celles qu’un représentant de la nation devrait, selon moi, incarner ». 

(1) Vidéo de Parcours d’entrepreneur, sur le site des échos, le 31/03/2016.