Accueil > Décembre 2013 / N°23
« À Pôle emploi personne ne m’a redonné le sourire »
Avez-vous déjà fait attention au nombre de personnes qui poirotent tristement à 8h25, si ce n’est plus tôt, devant les agences Pôle emploi de Grenoble et de la cuvette ? Elles sont des dizaines à attendre chaque jour que les portes s’ouvrent à 8h30 pile poil, pour une première inscription, régler un problème administratif, consulter des offres sur les bornes internet ou tout simplement faire une photocopie gratuitement. Le département de l’Isère compte presque 80 000 chômeurs [1], ils méritaient bien qu’on s’intéresse un peu à eux. Le Postillon a donc envoyé un de ses parasites au charbon, parmi ceux, nombreux, qui traînent dans les couloirs de la rédaction. Il est allé observer ce qui se passait à l’accueil de Pôle emploi et a fait le pied de grue devant trois agences [2] pour recueillir les témoignages de ces pseudo-assistés qui espèrent encore trouver du travail en 2013.
Une trentaine de personnes, pochette soigneusement calée sous le bras pour certaines, s’engouffrent dans l’agence. À l’intérieur, c’est propre. L’espace d’accueil est spacieux. Il y a là des bornes connectées au site internet de Pôle emploi, une photocopieuse, deux bureaux et deux à trois agents qui accueillent derrière leur ordinateur les demandeurs d’emploi qui patientent sagement dans la file. Au mur est accroché le logo de Pôle emploi, un E collé dans un rond qui, rappelons le, avait coûté pas moins de 500 000 euros en 2008 lors de la fusion des Assedic et de l’Anpe [3].
Les nouveaux inscrits disparaissent rapidement et vont assister à une réunion collective dans une pièce adjacente, tandis que d’autres attendent qu’un conseiller les appelle pour un « entretien personnalisé ». Les agents d’accueil étudient les demandes de ceux qui restent encore dans la file. Un homme est affalé sur un siège devant un ordinateur, il fait glisser, sans conviction, la molette de la souris, puis s’immobilise. Il s’endort, l’écran passe en mode veille, il se réveille et lentement reprend la consultation des offres. Sur son bras, il a griffonné au stylo les références de l’une d’entre elles. Une femme ordonne à son chien de rester dans le hall d’entrée. Docile, l’animal obéit. Sa maîtresse poirote une demi-heure, puis, après quelques signes d’impatience, décide de partir. Son chien la suit. Un homme, la cinquantaine, nous interpelle : « Vous voulez pas m’aider à remplir mon dossier, je ne comprends pas où mettre ces numéros ? » On lui file un coup de main : les trois agents à l’accueil sont débordés et sans cesse sollicités. « Vous pouvez me remettre du papier dans la photocopieuse s’il vous plaît ? - J’arrive, un instant. » Un type double la file et se présente au guichet. Il se fait sermonner. « Mais je suis employeur ! » s’exclame t-il avant de s’excuser. « Je n’avais pas vu la queue. » Ça rentre et sort, inlassablement. Quelques regards de compassion ou d’agacement s’échangent. On sort.
Dehors, on aborde les demandeurs d’emploi. Sur les quatorze personnes rencontrées, pas une seule ne nous a confié avoir trouvé du travail grâce à Pôle emploi, la plupart se pliant simplement aux contraintes administratives pour bénéficier des allocations chômage.
Marc, la vingtaine, est inscrit depuis un an et demi. Il peste : « Je vais à Pôle emploi pour m’embrouiller. Plusieurs fois j’ai tapé des crises. Moi je les déteste, ils s’en foutent de nous, ils me saoulent. Je reçois des convocations obligatoires en retard, ils m’envoient ça en mars pour un rendez-vous en février ! Ça m’est arrivé quatre fois. À mon premier rendez-vous, on ne m’a pas dit d’envoyer mes fiches de paie à Bordeaux [4], résultat ça me bloquait mes indemnisations. Ce mois-ci j’ai 33 euros au lieu de 1000, je sais pas comment je vais payer mon loyer. Je vais demander à mon colocataire et mes parents, je les rembourserai après. Pendant les rendez-vous, ils ne t’aident pas, ils te sortent une liste avec des offres auxquelles je ne peux pas répondre : il faut être diplômé ou avoir cinq ans d’expérience. C’est comme ça pour les trois quarts de mon entourage. Pôle emploi ça sert à rien, juste à toucher les allocations. On est en France, on a des droits, c’est pas normal qu’on trime autant que ça ! ».
Virginie, 25 ans, a bossé dans l’enseignement. Elle vient tout juste de s’inscrire : « Ils étaient super à mon rendez-vous, mais je ne compte pas sur Pôle emploi pour me trouver du travail, je passe par un autre réseau. »
Pas besoin d’aller vers Claude, la cinquantaine, il vient nous taxer une clope : « J’ai pas internet chez moi, je viens consulter les offres ici. Mais avec eux j’ai jamais trouvé de travail. Je fais quelques missions d’interim. Avant c’était plus facile de trouver du boulot, on quittait un patron le vendredi, on retrouvait du travail le lundi, c’était dans les années 80. »
Ammar a suivi une formation dans l’animation sociale : « Je pourrais travailler comme co-éducateur avec ce diplôme mais je ne trouve rien du tout. Alors maintenant, je fais n’importe quoi, comme médiateur, c’est pas mon profil. C’est des petits CDD sans suite ou des petites missions. Mon allocation est de 600 euros. Quand je travaille pour 400 euros par mois, je suis indemnisé de 200 euros, ça varie en fonction de ce que je déclare mensuellement. Et avec 600 euros on ne peut pas vivre. Les agences, il faut les fermer et laisser les gens se débrouiller tout seuls. Pour chercher du travail, il ne faut pas compter sur eux. Aujourd’hui je suis venu pour consulter les offres sur internet, je n’ai pas de wifi, alors je viens ici pour me donner un peu espoir. » Il évoque son malaise parfois face aux conseillers : « On est en contact avec une personne qui n’est pas avenante alors qu’on a besoin d’un soutien moral, psychologique. On a l’impression que c’est la personne qui paie de sa poche les indemnités, ça rend l’interlocuteur mal à l’aise. »
Amélie, la petite trentaine, travaille dans l’animation et cumule les emplois saisonniers : « Aujourd’hui j’ai passé plus de temps avec mon conseiller que d’habitude parce que ma demande de réinscription n’avait pas été prise en compte. Je ne sais pas combien je vais toucher, ils ne savent pas me dire, ils m’ont dit que je saurai d’ici dix jours mais la dernière fois j’ai attendu un mois et ils s’étaient plantés dans mes droits. Je suis désabusée. Je pense que c’est pour diminuer les chiffres du chômage qu’ils radient si facilement. Je connais plein de potes qui se retrouvent dans la même situation que moi. Les mois où je travaille j’économise et après je puise dans mes économies et je travaille aussi au black pour compléter. J’ai l’impression qu’à Pôle emploi ils sont démunis et surchargés de travail. Ils te disent souvent de téléphoner au 39 49 parce qu’ils n’ont pas la réponse. »
Jean est inscrit depuis trois mois, il veut rentrer dans l’armée : « Je ne touche pas d’argent de Pôle emploi, je suis au RSA mais c’est pas évident de vivre avec ça. Je devais voir des recruteurs de l’armée, mais ils ne sont pas venus, je suis obligé de revenir plus tard. Ils sont super à Pôle emploi, quand t’as un souci, ils t’aident à faire tes actualisations, ils te suivent. D’un point de vue humain, c’est bien. »
Marie, elle, est dans une situation particulière, elle a le statut d’intermittent du spectacle. Ce qui explique qu’elle soit inscrite depuis quinze ans. Son statut lui permet, après avoir réalisé un certain nombre d’heures de travail, de lui ouvrir des droits au chômage qui viennent compléter ses cachets. Elle a connu les défuntes Assedic et Anpe : « Ce qui a changé avec la fusion c’est qu’avant il y avait une Anpe spectacle, donc les gens connaissaient vraiment le boulot. Aux Assedic c’était super, ils pouvaient débloquer des dossiers rapidement. » Aguerrie aux rouages, elle s’arrange toujours : « Quand je vois que la personne ne connaît pas la situation des intermittents, il faut pas s’énerver. Le mieux est de repartir et revenir le lendemain pour tomber sur quelqu’un d’autre qui comprend ta situation. »
Martin, 22 ans, vient d’Ardèche où il était étudiant et travaillait parallèlement à l’usine : « Un boulot horrible mais il fallait le faire parce que j’avais besoin d’argent. » Là-bas, à Pôle emploi : « Il fallait venir en avance. Ça ouvrait à 8h30 et j’arrivais vers 7h50 et il y avait déjà quatre personnes devant moi, 40 minutes avant l’ouverture ». Il a dû se réinscrire à Grenoble pour toucher ses allocations : « Je suis ouvert à tout, vu que j’ai travaillé en usine. Là, j’ai encore des économies de l’année dernière et je suis en collocation avec ma copine, du coup on ne paie pas trop cher mais c’est pas facile, on ne peut pas se faire plaisir à côté. »
Amina, la quarantaine : « Je veux bien répondre à vos questions mais vous ne me filmez pas, hein ? ». Elle a travaillé en Algérie comme éducatrice, elle est inscrite depuis bientôt un an et a demandé à suivre une formation : « À chaque fois on me disait ‘‘il faut d’abord travailler’’, mais on ne trouve pas d’emploi ni de formation. Il n’y a rien, même pour faire le ménage. On est très bien accueilli à Pôle emploi mais il n’y a pas de résultat. »
Mathieu a bossé cinq ans en CDI dans une grosse boîte de la région grenobloise avant de subir un plan de licenciement : « À Pôle emploi, ils font de leur mieux avec ce qu’on leur donne. Mais c’est pas forcément eux qui vont nous donner du boulot, la démarche, elle reste personnelle et c’est avec de la motivation et du caractère qu’on arrive à se démerder. Ça fait peu de temps que je cherche du boulot, alors je cible vraiment les domaines qui m’intéressent, je ne suis pas encore dans l’esprit où je vais être à la rue demain. Pour moi, les services qu’ils me proposent me suffisent, je n’ai pas besoin d’un boulot demain mais peut être que dans dix mois je tiendrais un autre discours. »
Une dame, autrefois employée dans une créche, préférè taire son prénom : « Il ne me reste plus que deux mois de chômage après ça va être le RSA. Les temps sont difficiles, faut que je paie mon loyer de 300 euros et que j’élève mes petits. »
Jacques est sérieusement en colère contre Pôle emploi. Il était carrossier-peintre, a eu des soucis de santé et, à son retour d’arrêt-maladie, son patron l’a licencié : « Ça fait quatre ans que je viens tous les jours à Pôle emploi et qu’ils me voient ici et ils ne me trouvent rien. Ils m’ont menacé de se débarrasser de moi. Je peux vous donner les noms ! Ce qui les dérange, c’est que je vienne tous les jours. Je recherche des petits boulots mais pas physiques parce que j’ai des problèmes de santé, mais ils veulent rien m’expliquer. Je touche 452 euros d’indemnisation. Heureusement que ma femme m’aide à vivre. Mais je suis pas proxénète, j’ai pas envie de profiter de la situation de ma femme. J’ai été convoqué trois fois par la directrice et une fois elle m’a sorti de l’agence. Alors je suis obligé de venir en cachette pour consulter les ordinateurs . » Et de conclure avant d’enfourcher sa moto : « Il y a des gens qui viennent, ils ne veulent pas de sous, ils veulent du travail ! »
Guillaume, la vingtaine, était en contrat d’apprentissage dans une boite qui a été liquidée. Son contrat a pris fin avant l’heure. Il essaie tant bien que mal de s’inscrire à Pôle emploi : « J’avais déjà fait les papiers, ils m’ont renvoyé mon dossier comme quoi il me manquait une attestation, je l’ai mise et ils me l’ont renvoyé de nouveau en me signalant qu’il manquait mon contrat. Ils me disent pas tout en même temps, du coup ça prend du temps. Peut-être qu’ils vont encore me le renvoyer et me dire qu’il manque encore un truc. » Il relativise : « Ça va, j’habite chez ma mère et je n’ai pas de loyer à payer, ni de facture, du coup c’est pas trop gênant. Mais si j’étais seul ça serait pas la même chose. Il y en a d’autres que ça doit faire râler. »
Abderrahmane, bientôt 60 ans, a travaillé dans une ambassade française à l’étranger, il est arrivé il y a un an et demi en France : « Je cherche du travail, je ne touche pas d’indemnités, je suis au RSA. Je peux travailler dans n’importe quoi, il faut que je trouve un boulot mais il n’y a rien. Je suis passé pour faire des photocopies de mes lettres de motivation et de mes CV pour les distribuer partout, mais ça ne marche pas. »
Il ressort de ce micro-trottoir, bien que non exhaustif, l’absurdité de ce système : faire semblant de chercher à tout prix un boulot qui n’existe pas en attendant la fin de ses allocations, ou devoir travailler dans des conditions précaires. Et on repense à ce que nous avait dit Marc, la première personne que l’on avait rencontrée : « Là-bas personne ne m’a redonné le sourire. »
[(« On est au cœur des problèmes sociaux »
Pôle emploi est né de la fusion entre les Assedic et l’Anpe en 2008. Cet établissement public emploie 50 000 personnes dans toute la France dont un peu plus de 700 en Isère. Pour connaître leurs conditions de travail et essayer de comprendre pourquoi certains demandeurs d’emploi sont si mécontents, on a questionné un syndicaliste. Pierre Beneyton (CGT) est l’un des deux secrétaires CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) de Pôle emploi Rhône-Alpes.
Quelles sont les différents postes occupés par les agents à Pôle emploi ?
Quand vous rentrez, vous êtes dans la « zone d’accueil » avec un ou deux postes qui sont tenus souvent par des personnes embauchées en CDD. Elles font l’accueil « de premier niveau » et prennent le premier contact avec le demandeur d’emploi. Il y a ensuite « l’accueil de réception », ce sont des bureaux dans la « zone d’accueil », ils sont destinés aux gens qui ont un problème un peu plus pointu mais qu’on peut résoudre rapidement, comme un souci d’indemnisation. L’accueil devrait être une priorité et les sites devraient mettre le paquet parce qu’il y a beaucoup de situations qui sont dues à des problèmes d’organisation. L’autre espace, c’est « l’accueil sur rendez-vous » et là on vient vous chercher, les agents badgent et passent une porte. Là, vous êtes reçus par un conseiller pour 45 à 50 minutes. Ils reçoivent en principe quatre demandeurs d’emploi le matin et trois l’après-midi. Il faut savoir qu’encore récemment le demandeur d’emploi était réorienté à l’accueil vers le 39 49, une plate-forme téléphonique.
C’est-à-dire que le demandeur d’emploi venait à Pôle emploi et on lui disait : « Téléphonez au 39 49 » ? Quel était l’intérêt de se déplacer jusqu’à l’agence ?
Si le demandeur d’emploi venait pour un renseignement tout simple, on lui donnait, si ça dépassait le stade de l’information primaire, le conseiller le réorientait vers le 39 49 pour donner l’habitude au demandeur d’emploi de faire un certain nombre de choses de chez lui. À Pôle emploi, on a un peu le même discours que les banques ou les assurances. Dans l’agglomération grenobloise, il semblerait qu’on veuille revenir au « service immédiat » : le demandeur vient et on doit l’aider sur place.
À Vigny-Musset, j’ai rencontré des gens qui n’avaient pas d’ordinateur chez eux ou qui ne maîtrisaient pas forcément les outils informatiques. Pôle emploi pousse à la dématérialisation, à l’usage des mails et d’internet. Ça pose quand même des problèmes pour une partie de la population, non ?
La dématérialisation, ce n’est qu’un outil. Éditer des petites annonces et les afficher ça ne sert pas forcément à grand chose si c’est un public qui est en difficulté au niveau de la lecture, ça ne va pas l’aider spécialement. La question est : quand un demandeur d’emploi entre dans une agence, quelle attention on a pour lui ? Qu’est-ce qu’on fait pour lui ? Et avec quels moyens ? Le nombre de chômeurs a explosé, les effectifs [le personnel Pôle emploi] on va dire qu’ils ont augmenté de 10 % depuis la fusion [des Assedic et de l’Anpe en 2008] mais si vous prenez la courbe du chômage depuis fin 2008, c’est pas 10 %, c’est beaucoup plus. À mon avis il y a à peu près 50 % de chômeurs en plus toutes catégories confondues. Il faut savoir que les agences n’ont pas de moyens supplémentaires. Et puis les gens à l’accueil en CDD ont très peu de formation et sont jetés dans la cage aux fauves au milieu des demandeurs. On a remarqué à Grenoble que c’est à l’accueil qu’il y avait le nombre le plus important d’incidents déclarés. Il y en avait moins avant. On a deux interprétations différentes : ça traduit une augmentation de l’agressivité à l’accueil et c’est aussi le fait que les agents déclarent mieux les incidents.
Est-ce qu’il n’y aurait pas d’autres explications ? Les gens ne trouvent pas de boulot via Pôle emploi, certains ont des problèmes d’indemnisation, ils ont peut-être le sentiment de ne venir que pour des démarches administratives laborieuses.
C’est certain que nous, comme la CAF, on est au cœur des problèmes sociaux. Les agents ont en face d’eux des gens qui ont de fortes attentes et la principale c’est de savoir où le demandeur en est au niveau de son indemnisation. Le but n’est pas de vivre de ses allocations mais de savoir combien je vais avoir et pendant combien de temps. Il est vrai qu’on a une difficulté à Pôle emploi sur le système d’indemnisation parce que tous les renforts qu’on a eu dernièrement sont dédiés au « placement », c’est-à-dire à la recherche d’emploi. L’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi avec des contrats courts fait que les dossiers tournent beaucoup et qu’il faut revoir les dossiers plusieurs fois.
J’ai vu des gens exaspérés qui finissaient par s’en aller sans avoir de réponse à leur question. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Est-ce une question politique ?
Pôle emploi répond à une commande politique. En face, les employeurs qu’est-ce qu’ils proposent ? Des contrats de très courtes durées, très mal payés, c’est vrai qu’aller proposer un contrat de huit jours au smic à quelqu’un, c’est quand même pas très attractif.
Existe-t-il une politique du chiffre ? Est-ce que vous avez des consignes pour radier les gens plus rapidement ?
C’est assez ambigu. Officiellement ça n’existe pas, on ne peut pas dire qu’il y ait des consignes écrites. Mais il y a des pratiques : un demandeur qui loupe un rendez-vous est suspendu de deux mois d’indemnisation. C’est une sanction violente pour un simple rendez-vous manqué. Tout dépend aussi de la culture du conseiller, certains vont se dire « bon d’accord il a loupé le rendez-vous mais c’est pas bien grave et je ne vais pas faire partir la lettre qui correspond » et il y a ceux, en particulier les nouveaux, qui appliquent la consigne, ils radient.
Les statistiques du chômage sont quand même des outils utilisés par les politiques quelle que soit leur étiquette, depuis des années...
Absolument. Mais il est difficile de prouver qu’il y a une volonté de sabrer dans les chiffres. Mais il y a des consignes d’organisation qui font que la radiation est un peu rapide et un peu facilitée. Il faut savoir aussi que Pôle emploi va avoir accès aux comptes bancaires des demandeurs [Ndr : décret du mois d’octobre 2013]. On peut supposer qu’en Rhône-Alpes, on aura dix ou douze agents qui seront habilités à faire ça. Moi je veux bien qu’on traque les gens qui abusent du système, par contre il y a une tendance à considérer le demandeur d’emploi comme un profiteur, je ne pense pas qu’il y en ait tant que ça qui puissent vivre du chômage.
Le taux de chômage est-il sous-évalué ?
Oui, mais dans quelle proportion, c’est difficile à dire. Le nombre de gens qui ont de multiples petits boulots à droite à gauche, avant qu’ils se disent « j’ai droit à quelque chose », ils ne s’inscrivent même pas alors qu’ils pourraient bénéficier des allocations. Il y a aussi ceux qui ne s’inscrivent pas parce que financièrement ils savent qu’ils ne toucheront rien, ça ne va pas leur changer la vie et il y en a sans doute un bon paquet.
J’ai lu dans un tract de la CGT que « le nombre d’arrêts de travail des agents est en constante augmentation ». Quelles sont les conditions de travail à Pôle emploi en Isère ?
On constate qu’il y a beaucoup d’arrêts de travail mais le taux d’absentéisme a baissé en 2012, ça ne veut pas dire que ça va bien à Pôle emploi. Hier, sur un site de l’Isère, il y avait dix personnes qui étaient dispensées d’accueil sur 45, ça fait plus de 20 %, ils sont conseillers. Ils sont dispensés de faire de l’accueil par le médecin du travail. Pour enlever de la souffrance à un conseiller, il est dispensé d’accueil parce que c’est le poste le plus exposé, le plus dur. C’est là où on prend toute la colère des demandeurs d’emploi. Il y en a pas mal qui sont aussi interdits de tout contact avec le public, ça arrive, ils ne reçoivent plus de demandeurs et ne répondent pas au téléphone parce que ça les met dans un état de stress important.
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[(Connaissez vous le TSA ?
Lorsqu’un demandeur d’emploi actualise sa situation et déclare une période de travail, il doit, pour que ses indemnités soient recalculées, envoyer ses fiches de paie non pas à l’agence dont il dépend mais a une entreprise spécialisée dans le traitement de données (Tessi) à Bordeaux. C’est ce qui est appelé à Pôle emploi le « tri spécial à l’arrivée ». Autrefois ces documents étaient traités en interne au niveau local. Cette sous-traitance engendre de nombreux problèmes comme l’explique Pierre Beneyton : « On se retrouve avec une entreprise qui est spécialisée dans le traitement de dossiers sauf que c’est loin et qu’il y a un risque de perte de document, de retard... ce qui génère de la part des demandeurs des coups de fil, des visites ou des incidents parce que, quand vous ramenez pour la troisième fois des documents, il y a de quoi être énervé.)]
Notes
[1] En février 2013, 79 484 personnes étaient inscrites à Pôle emploi en catégorie A, B et C, elles étaient 52 894 en catégorie A. Lorsqu’il publie les taux de chômage, le gouvernement ne comptabilise que la catégorie A, c’est-à-dire les chômeurs qui n’ont aucun emploi. Pour simplifier, les catégorie B et C regroupent les demandeurs qui travaillent de temps en temps.
[2] Les interviews ont été réalisées devant les agences de Grenoble Europole, Vigny-Musset et à Fontaine. Pour des raisons de simplicité, les lieux ne sont pas mentionnés. Certains prénoms ont été changés.
[3] Geoffroy Roux de Bézieux, ancien président de l’Unedic, a avoué après révélation de cette information par le Canard Enchaîné qu’« on a payé peut-être un peu cher ». Mais ce n’est pas la première fois que des dépenses démesurées sont réalisées par cet organisme public. En 2004, le logo de l’Anpe avait coûté 2,4 millions d’euros...
[4] Les demandeurs d’emploi doivent « s’actualiser » mensuellement sur internet ou par téléphone et signaler l’évolution de leur situation. Ceux qui ont travaillé doivent le mentionner et envoyer leur fiche de paie à une entreprise privée à Bordeaux (voir encart), sans ça ils ne sont pas indemnisés.