Accueil > Hiver 2023-2024 / N°71

Pourquoi le daubé est-il daubé – épisode 7 –

Des journaux, pas des robots

La presse papier locale est en plein chamboulement. Le Petit Bulletin vient de disparaître. Les journalistes du Daubé se battent contre un plan d’économies. L’intelligence artificielle va être testée dans des journaux du même groupe de presse pour « réécrire les papiers des correspondants ». Après avoir célébré la fuite en avant technologique à longueur de pages, les gratte-papiers se rendent compte avec effroi qu’ils font aussi partie des humains qui pourraient être remplacés par des robots. La direction du quotidien, elle, annonce clairement la couleur en organisant le Tech&Fest les 1 et 2 février prochain à Grenoble afin de permettre au «  meilleur de la tech française  » de «  célébrer l’innovation ». Quant à nous, on continue mordicus à pourfendre l’invasion des écrans et à défendre la presse papier et la vie réellement vécue.

Au printemps dernier, Le Daubé « ouvre le débat » : « Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ? » Un débat en cinq épisodes publiés du lundi 13 au vendredi 17 mars et qui fait surtout parler ceux qui n’ont «  pas peur  » de l’intelligence artificielle (IA) : quatre épisodes sur cinq sont ouvertement pro-IA avec des interventions du patron du Miai (Multidisciplinary Institute in Artificial Intelligence) de Grenoble ; un expert-comptable favorable à l’IA ; le patron de Néovision, une boîte «  ayant tout misé sur l’IA » ; et des professeurs pour qui «  ChatGPT pourrait devenir un outil pour les enseignants ». Seul l’article du vendredi donne la parole à un « opposant », le professeur de droit public Serge Slama pour qui «  l’IA risque de perturber les droits de l’homme et les droits des personnes » avec notamment l’avènement de la vidéosurveillance intelligente.

Ce genre de «  débat  » hebdomadaire, mis en place depuis un an, fait partie des tentatives du quotidien régional pour faire un journal plus «  interactif » et attirer un lectorat plus jeune, le noyau dur de ses abonnés se rapprochant de plus en plus, pour ceux qui y arrivent, de l’âge du journal (80 ans dans deux ans). Mais visiblement, ces « débats  » ne rencontrent pas un succès fou. Seules deux-cent personnes ont participé au « vote en ligne » accompagnant le sujet. Si 69 % ont dit avoir « peur de l’intelligence artificielle  », les journalistes du Daubé ne sont visiblement pas de cet avis. La proportion des papiers « pour  » publiés dans le « débat » (quatre sur cinq) est assez représentative du traitement de toutes les innovations technologiques par le quotidien régional, l’enthousiasme non-dissimulé étant à peine contrebalancé par quelques papiers sur des contestataires (quand il y en a). Comme l’écrasante majorité des journalistes nationaux, les gratte-papiers du Daubé « vivent avec leur temps », acceptant docilement les bouleversements de leurs métiers par les chamboulements technologiques. Dans le « débat » sur l’intelligence artificielle, les « journalistes » ne faisaient pas partie des professions citées comme étant « menacées par l’IA ». Et pourtant…

Mi-octobre, on apprend que la direction de L’Est républicain et de Vosges Matin (journaux appartenant au même groupe que Le Daubé, Ebra, propriété du Crédit Mutuel) veulent « lancer l’expérimentation de l’intelligence artificielle pour le traitement des articles dans les pages locales, ceux des correspondants de presse. L’idée, à travers cette expérimentation, c’est de corriger et retailler les articles en question. »

Bizarrement, dans le Nord-Est, les journalistes semblent tout à coup avoir « peur » de l’intelligence artificielle : « Le Syndicat national des journalistes, (SNJ), majoritaire, s’oppose à ce test qu’il considère comme “une ligne blanche” » tout en redoutant des « baisses d’emplois ».
Une opposition qui a un peu payé : fin octobre, suite au petit tollé provoqué par cette décision dans la presse nationale, la direction annonce que le projet est « suspendu »... «  pour rediscuter les modalités de mise en œuvre de ce projet ». «  “Cette suspension ne remet pas en cause l’expérimentation présentée au sein de L’Est Républicain”, a par ailleurs assuré le groupe  » qui use juste de cette vieille technique de gouvernants : reculer pour mieux sauter… seulement quelques jours plus tard. Le 6 novembre, le SNJ annonce finalement que «  la direction de L’Est Républicain a indiqué que l’expérimentation commencera le 22 novembre pour une durée de trois mois. Elle concernera l’édition de Lunéville montée par le secrétariat de rédaction (SR) où quatre ou cinq SR, sur la base du volontariat, testeront ce processus en production sous la coupe d’un “référent SR chef de ce pôle” ». Bref, peu importent les péripéties de mise en place : d’ici quelques mois – ou années au maximum – les journalistes de Vosges matin et du Daubé devront composer avec l’intelligence artificielle, au moins pour « réécrire » ces fameux articles des correspondants. Quelle sera la prochaine étape ? Supprimer les correspondants ? Pour les comptes-rendus de la fête de la pomme de Quaix-en-Chartreuse ou de la fête du murçon de La Mure, un réseau de vidéosurveillance intelligente pourra renseigner le nombre de participants, la météo, la qualité de l’ambiance (bonne ou excellente) et de l’enthousiasme des participants (très bonne ou exceptionnelle) et ChatGPT ou n’importe quelle appli d’intelligence artificielle générative pondra un article de 3 000 signes sans doute équivalent à ce qu’aurait fait un correspondant. Après tout, les correspondants ont aussi – pour la plupart – bientôt l’âge de leur journal.

Un mauvais journaliste vaut mieux qu’un bon robot

Si on se moque gentiment des correspondants et des journalistes du Daubé, c’est avant tout par tendresse. Quels que soient leurs défauts et leur talent d’écriture, ils ont tous pour indéniable qualité d’être des humains – comme leurs papiers imparfaits le rappellent souvent. Dans ce monde où les écrans et les robots prennent tout le pouvoir, on mesure encore notre chance de pouvoir (pour combien de temps encore ?) accompagner chaque matin notre café d’un vrai objet réalisé par de vrais humains. Si on traite, comme tant d’autres et suivant un mauvais jeu de mots, Le Dauphiné Libéré de « daubé », c’est qu’on pense avant tout qu’il pourrait mieux tourner. Sentir moins mauvais. La ligne du journal doit correspondre aux objectifs du groupe capitaliste Ebra et favorise donc, comme partout ailleurs dans le capitalisme, des productions standardisées, peu coûteuses. À ce jeu-là, ce sont toujours les machines qui gagnent à la fin : les robots sont mieux adaptés au formatage que les humains.
Quelle que soit l’odeur d’un journal fabriqué par des humains, elle sera toujours plus agréable qu’une information entièrement fabriquée par des algorithmes. Merci Didier et Alain d’avoir fait des comptes-rendus de la fête de la pomme et du murçon cette année – si vous pouviez être un peu moins prévisibles l’année prochaine, ce serait encore mieux.

Mais vous restera-t-il de la place ? Ces dernières années, le journal papier subit différentes cures d’amaigrissement. Dernier bouleversement : le changement de format en mai dernier, la taille des pages étant presque divisée par deux. Autre évolution : les différentes versions (Grenoble et agglomération, Grésivaudan et Oisans, Voiron et Saint-Marcellin) ont été fusionnées, laissant moins de place aux fameuses pages ultralocales écrites par les correspondants. Et les bouleversements ne sont pas prêts de s’arrêter.

Le 26 septembre, une grève « inédite » a secoué le quotidien. 95 % des journalistes (traditionnellement rétifs à toute mobilisation) des agences de Grenoble et Voiron ont cessé de travailler pour protester contre les projets de la direction, prévoyant la fermeture de leurs agences locales et la réduction des effectifs par le non-remplacement de CDD et de départs volontaires. Le 11 octobre, ces mêmes journalistes, sous la bannière «  Dauphiné révolté  », lancent une pétition sur change.org « contre la fermeture des agences de Grenoble et de Voiron » : «  Comment être au cœur des événements de nos communes et des actualités qui les agitent, comment entretenir notre réseau et être au contact avec le terrain en étant loin de vous ? Nous refusons l’idée d’un journalisme à distance, déconnecté… » Les 1 037 signatures récoltées un mois plus tard ne risquent pas de convaincre la direction de revenir sur son projet, défendu par la nécessité de combler un «  déficit évalué à plus de quatre millions d’euros », creusé par la baisse des ventes. Entre juillet 2022 et juin 2023, elles sont passées de 157 000 à 143 000 exemplaires quotidiens, alors qu’il y a moins de vingt ans, en 2005, il y en avait presque deux fois plus : 270 000.

Conséquences logiques de la « transformation digitale »

Au printemps 2022, c’est un spécialiste de la « transformation digitale » qui a pris la direction du Daubé. Les compétences mises en avant dans le profil Linkedin de Christophe Victor annoncent clairement la couleur : « mise en place de plan d’économies », «  mise en place d’une politique d’innovation produit permanente  » et donc : « transformation digitale  ». Les actionnaires d’Ebra semblent avoir misé sur le bon poulain pour suivre le sens du vent numérique. Un ouragan que les journalistes du Daubé célèbrent à longueur de pages, vantant le business plan de telle start-up, saluant telle nouvelle usine de production de futilités connectées, accompagnant les annonces de dématérialisation des services publics, tendant complaisamment le micro à tel patron « disrupteur », se réjouissant de telle innovation sortie du CEA-Grenoble, etc. Tout ce qui était directement vécu se transfère derrière un écran, et Le Daubé accompagne joyeusement le mouvement.
Pourquoi donc contester une des conséquences logiques de ce mouvement ? Dans la presse comme ailleurs, l’extension de la numérisation signifie la suppression de postes, la distanciation généralisée et le transfert de tâches des humains vers les robots. Si les journalistes du Daubé contestant le plan d’économies de leur direction voulaient être conséquents, il leur faudrait aussi contester la numérisation générale et ses avancées locales en Isère, qu’ils couvrent pour l’instant avec bienveillance.

Cela signifierait-il – ô horreur – de faire du journalisme « subjectif » « engagé », « militant », (comme certains journalistes du Daubé ont souvent qualifié – avec un brin de dédain – notre travail) ? Comme si la célébration de la numérisation n’était pas elle aussi un choix « subjectif » « engagé » et « militant »… Il y a douze ans, dans Le Postillon n°13, on avait réalisé le portrait d’Olivier Pentier, le « journaliste intelligent  » du Daubé. Un portrait caustique d’un des gratte-papiers du quotidien d’alors, infatigable louangeur de toutes les « innovations » technologiques. D’autres journalistes nous avaient ensuite reproché notre « méchanceté gratuite », sans pour autant questionner le fond de ce portrait : à force de faire la promotion des robots, les journalistes aussi vont être remplacés par des robots.

Repose en paix, petit journal gratuit technophile

Les journaux papier naissent et meurent, et quantité de titres ont disparu bien avant la numérisation. Néanmoins, comment ne pas constater les vents contraires auxquels doit faire face la presse papier aujourd’hui ? Tout le temps passé derrière un écran est du temps perdu pour le papier, toutes les nouvelles habitudes numériques compliquent toujours un peu plus la viabilité d’un vrai objet. Début novembre, on apprenait que Le Petit Bulletin, journal grenoblois culturel et gratuit, disparaissait après trente ans d’existence. Si on s’était régulièrement moqué de ce « sac à pub », on le consultait quand même à chaque parution, pour avoir un certain panorama culturel du coin, plus éclectique que celui auquel on a accès via nos cercles d’amis, les affiches vues, les mails reçus ou les annonces que nous sélectionnent les algorithmes sur les réseaux sociaux. La culture étant elle aussi de plus en plus envahie par la technologie, Le Petit Bulletin accompagnait benoîtement le mouvement, célébrait les « arts numériques », promouvait la biennale Experimenta ou tout autre festival « art-sciences » visant à l’acceptabilité des innovations technologiques via les pratiques artistiques, ne voyait rien à redire à l’apparition des casques de réalité virtuelle dans les expos ou les performances, ne se positionnait jamais contre le déferlement technologique. L’édito du 15 février 2023 évoquait l’intelligence artificielle : «  À chaque emballement pour une nouvelle étape de l’intelligence artificielle, c’est la même chose : il y a toujours un petit malin pour dire, rictus aux lèvres  : “Bah bientôt, vous servirez plus à rien les journaleux !” Alors on est allés, comme tout le monde, sur ChatGPT, et on a demandé à l’IA  : “Écris un édito pour un journal culturel de Grenoble.” Voilà ce qu’elle a écrit, en deux secondes chrono [s’ensuit le traditionnel texte généré par ChatGPT]. C’est rapide, mais sans être présomptueux, on se sent pas non plus hyper menacés.  » Jusqu’à peu, la quasi-totalité des artistes non plus ne se sentaient « pas hyper menacés » par la fuite en avant technologique. Depuis quelques mois, quantité d’articles ont montré comment l’intelligence artificielle pouvait les « grand-remplacer » eux aussi. Et sept mois après cet édito optimiste, le journal gratuit mettait la clef sous la porte. En cause : pas seulement l’IA, mais ce mouvement global qui tend à river de plus en plus les humains derrière des écrans et donc à rendre caducs les objets « in real life  ». Est-ce à dire que « les journaleux » ne servent « plus à rien » ?

Ou a-t-on encore besoin d’eux pour encore encenser le « progrès » ? « Nous croyons dans le futur, nous pensons que la technologie peut aider à résoudre beaucoup de problèmes aujourd’hui. Notre ambition, forte, est de faire rayonner la technologie du territoire aux niveaux national et international.  » Voilà les mots de Christophe Victor, le PDG du Daubé, pour présenter l’évènement Tech&Fest que le journal « co-produit » les 1er et 2 février prochain à Grenoble. Un évènement « aussi sérieux que la Tech, aussi fun qu’un festival !  » dont le but est de «  célébrer le meilleur de l’innovation, ensemble !  » On voit bien ici la vision de « l’objectivité » de l’institution Daubé, qui depuis trente ans, multiplie les activités extrajournalistiques.

L’innovation daubée

Dans l’épisode 6 du feuilleton Pourquoi Le daubé est-il daubé ?, nous avions détaillé les multiples « partenariats  » du journal à l’époque en montrant comment «  l’étendue du réseau de partenariats du quotidien local lui permet de consolider sa position d’institution incontournable et incritiquable. […] Le Dauphiné Libéré n’est pas un journal. Le Dauphiné Libéré est un “groupe” avant d’être un journal. Un groupe, c’est-à-dire une entreprise capitaliste dont le but est de faire de l’argent. Comme tout bon groupe, Le Dauphiné Libéré est prêt à tout pour grandir et pour augmenter ses bénéfices. D’une part, on l’a vu dans les épisodes précédents, en modelant sa ligne éditoriale suivant le sens du vent et des ventes ; et d’autre part en développant des activités n’ayant pas grand chose à voir avec la presse. » Depuis treize ans, les partenariats se sont développés, entre alliances avec des stations de ski, organisations de salons, rachat d’un blog de mode (Les Mondaines) et même la création d’un «  service événementiel  » afin « d’accompagner les entreprises, les collectivités et les associations dans l’organisation d’événements sur-mesure pour communiquer et fédérer autour de leurs valeurs, leurs innovations, leurs talents ou encore leurs marques.  »

Si le Tech&Fest s’inscrit donc dans cette continuité d’activités commerciales, il se démarque par sa force de frappe, réunissant presque toutes les grandes institutions locales, des « partenaires fondateurs  » (la Région, la Métropole, la Communauté de communes du Grésivaudan, le Commissariat à l’énergie atomique) aux « partenaires principaux » (Air liquide, le CNRS, Orange, STMicroelectronics, l’Université Grenoble-Alpes, etc.) en passant par les « partenaires contributeurs » (l’INPG, Soitec, Schneider, l’Inria, etc.) ou les « partenaires soutien et médias » (France 3, France Bleu Isère, la French tech, Minalogic, etc.). Le but est d’attirer des milliers de visiteurs, des «  dirigeants, professionnels, chercheurs », plus de « 3 000 collégiens et lycéens » et le « grand public ». Ce Tech&Fest s’inscrit dans la débauche de moyens institutionnels mis en place pour attirer des jeunes et autres personnes en reconversion dans les industries de la micro-électronique, (voir dernier numéro) en manque de bras et souffrant d’une réputation mise à mal par les activités du collectif StopMicro, contestant l’extension de l’usine STMicroelectronics de Crolles.
Pour attirer le chaland, un clip branchouille a été réalisé où cinq jeunes dûment sélectionnés (un homme blanc, une femme blanche, un homme noir, une femme noire, un homme asiatique) dansent devant des institutions locales avec un discours radicalement « inclusif » : «  Défendons une tech collective, par tous et pour tous, une tech qui crée l’enthousiasme, suscite les vocations, fait notre fierté commune [...] une technologie qui nous projette dans un avenir plus vertueux ». Les journalistes du Daubé viendront-ils témoigner de leur « enthousiasme » et leur « fierté commune  » quant à l’arrivée de l’intelligence artificielle dans les rédactions et les suppressions de postes à venir ?

D’autres personnes viendront-elles critiquer « le meilleur de l’innovation » et expliquer comment la technologie crée « beaucoup de problèmes aujourd’hui » ? C’est une part de notre « engagement ». Voilà pourquoi, depuis toutes ces années, on tente d’apporter de la matière à réflexion contre l’avènement de « l’e-monde ». S’il doit nous faire disparaître, au moins aurons-nous tenté de nous débattre, de crier : « Pas en notre nom ! » Certains de nos lecteurs et amies sont lassés par cette fixette, lui préférant d’autres sujets plus « tendance » (sur X-Twitter ou ailleurs), nous reprochant plus ou moins explicitement de nous « tromper de combat ». Eux ne sont pas spécialement technophiles, mais bon gré mal gré se résignent à l’invasion des écrans. Font des visios pour tout et rien, s’inscrivent sur des applis de rencontre, prennent des abonnements à des sites d’info plutôt qu’à des journaux papier, se font guider par leur GPS pour le moindre trajet, nous conseillent des séries plutôt que des bouquins, confortent la moyenne des cinq heures quotidiennes passées derrière un écran et finalement nous disent qu’ils ne trouvent « pas ça si grave ».

Nous, cette invasion nous révolte. On n’acceptera jamais le rabaissement de l’être humain en homo connecticus, dépendant de prothèses technologiques pour quantité d’actes anodins. Ce qu’on veut, c’est l’indépendance, l’autonomie, l’émancipation. On n’a pas « peur » du déferlement technologique, pour reprendre la façon dont Le Daubé et d’autres médias posent la plupart du temps le problème. Les « débats » technologiques du quotidien sont ainsi présentés : « Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ? » ou, en janvier 2023 «  Le développement de la 5G vous inquiète-t-il ? » Une formulation insidieuse, qui cantonne les éventuelles contestations à des « peurs » ou « inquiétudes » plus ou moins rationnelles, à propos de la nocivité des ondes électromagnétiques, de telle potentielle pollution ou de tels changements qu’il faudra de toute façon bien finir par accepter. Les débats ne sont jamais formulés sur l’angle du choix de société. « Le développement de la 5G est-il souhaitable ? » ; «  A-t-on besoin de passer encore plus de temps derrière les écrans ? » ; «  Veut-on que les robots remplacent les humains ? » ; voire, pourquoi pas : «  Après vingt ans de numérisation générale, sommes-nous plus heureux ? Nos sociétés fonctionnent-elles mieux que dans les années 1990 ? Notre vie vaut-elle plus le coup d’être vécue ? » Les technophiles, tout-puissants aujourd’hui, ont-ils « peur » de poser ces questions existentielles ? À nous et à tous les humains attachés à la « real life » de tâcher de les faire exister.