Accueil > Hiver 2023-2024 / N°71

Feuilleton Crise-Antennes – épisode 4 –

Bellevue... Plus pour longtemps

Deux ans et demi après l’épisode 3 de notre feuilleton autour des antennes-relais, on replonge dans le sujet à l’occasion d’une polémique sur l’implantation d’une antenne 5G dans le petit village de Montchaboud, vers Vizille. Aujourd’hui, il n’est plus question de couvrir des « zones blanches », mais de saturer des endroits déjà « connectés ». Quitte à gâcher le peu de belle vue qu’il reste.

Pour arriver à Montchaboud, il faut le vouloir. Une seule route d’accès dessert ce petit village de 150 foyers, perché sur une colline entre Vizille et Brié-et-Angonnes. À pied, on peut s’y rendre en empruntant les chemins qui parcourent les bois. La colline de Bellevue, lieu de promenade du dimanche et de course à pied, domine le village avec sa table d’orientation et sa vue à 360°.

Quand on arrive pour la première fois dans ce village-promontoire, on est saisi par la présence des lignes à haute tension, soutenues par de gigantesques sentinelles métalliques grésillantes. Les plus grandes encerclent toute la zone sud tandis que d’autres plus petites, à l’ouest, lancent leurs câbles au-dessus des habitations. C’est dans ce petit village fait de contrastes, entre verdure en haut et vallée de la chimie en bas, entre montagnes et pylônes d’acier, que Free s’apprête à installer une antenne 5G. Un nouveau relais mobile qui vient s’additionner au millier d’infrastructures de téléphonie déjà actives en Isère et au déploiement de dizaines d’autres dans les mois à venir.

Pour beaucoup de Montchabouillards, ce nouveau relais de téléphonie est le pylône de trop dans un village déjà saturé par les lignes électriques. «  Nos collines ne sont pas des dépotoirs d’acier  » proteste Jaklyne dont la maison se trouve à une centaine de mètres de la future antenne. Située sur une colline en surplomb, elle dominera bientôt tout le village du haut de ses trente-trois mètres.

Lorsqu’est apparue, début juin, l’annonce de son implantation, ils ont été près d’une trentaine d’opposants à décider de se regrouper. Ironie du sort dans ce village à taille humaine, le collectif s’est constitué sur WhatsApp et ne s’organise pour le moment que via l’application.

Si la dégradation des paysages est un motif central de l’opposition du collectif, leur critique est loin de s’y cantonner. C’est aussi la crainte de vivre au milieu des ondes dont on estime mal les effets sur la santé qui pousse certains comme Jaklyne à s’y opposer : «  Il y a plein d’inconnues sur les impacts, il n’y a pas de recul.  »

Plus largement, c’est le modèle de société du tout et tout le temps connecté que Véronique, membre active du collectif, questionne et critique. «  Si c’est pour avoir des voitures connectées, faire des jeux vidéo plus rapides… ça n’en finit plus, cette hyper-technologie. Je pense qu’à un moment il faut s’arrêter. La question de fond c’est quelle société on veut. Qu’est-ce que c’est que cette fuite en avant ? Nous on a la fibre, pourquoi y a-t-il besoin de changer ? C’est toujours plus de consommation énergétique, toujours plus d’équipements non-recyclables. La 5G ne bénéficiera qu’aux personnes équipées d’appareils 5G. »

Jaklyne évoque alors son téléphone portable qu’elle a depuis dix ans. Avec la généralisation de la 5G, elle sait qu’elle sera sans doute contrainte de le remplacer par un nouveau. Car avec son déploiement, c’est de ça dont il s’agit : imposer des consommations et créer de nouveaux systèmes de dépendance individuels et collectifs. Le livre Choix technologiques, choix de société  [1] expliquait que «  les systèmes techniques sont des structures politiques en ce sens qu’ils ouvrent et contraignent les choix de vie et d’organisation qu’une société peut se donner.  »

Pour toutes ces raisons, le collectif s’informe, contacte la mairie, rédige et distribue un tract, met en ligne une pétition contre l’implantation qui reçoit plus de 9 000 signatures… Mais malgré ça, le déploiement de l’antenne est imminent et la détermination laisse peu à peu la place au fatalisme devant le « passage en force » qui permet le déploiement de la 5G.
Depuis « le tournant 5G » annoncé et imposé par le gouvernement Macron il y a trois ans, tout est fait pour faciliter les implantations d’antennes-relais. Les riverains et les mairies n’ont presque plus aucun moyen de contester l’installation d’une antenne. Seul un article du code de l’urbanisme peut éventuellement empêcher une implantation si le projet est « de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Le groupe envisage tout de même de faire un recours contentieux, dont les frais s’élèvent à près de 4 000 euros. Problème : pour effectuer cette simple procédure juridique, une association doit avoir un an d’existence, ce qui indigne Jaklyne : « Donc l’État empêche les jeunes associations de faire des recours. À la vitesse à laquelle s’implantent les antennes, cela complique la contestation et favorise les opérateurs.  » Un recours devrait quand même être déposé, par des particuliers.

Outre le caractère autoritaire d’un dispositif qui s’impose à l’ensemble de la population, c’est aussi son iniquité qui est critiquée. Cette antenne va impacter tout le village en ne profitant qu’à un seul propriétaire, Free s’étant rabattu sur un terrain privé après le refus de la mairie de louer une parcelle communale.

À Montchaboud, «  les terres étaient jusqu’aux années 1970 majoritairement réparties entre quatre et cinq familles ». Alors quand, en 2023, l’un de ces propriétaires terriens décide de louer son champ à l’opérateur mobile, les réactions des riverains se partagent. Entre d’un côté la volonté de maintenir la bonne entente au village – « Les gens ne veulent pas forcément se prononcer, ça les embête de dire du mal » – et de l’autre un sentiment d’injustice : «  Comment un individu peut-il imposer ça à la majorité ?  »

Ainsi va le déploiement exponentiel de la 5G, entre passage en force anti-démocratique, querelles de voisinage, entraves juridiques à la contestation et relégation caricaturale de toute critique à une adhésion au modèle Amish.

Rien qu’en Isère, ce sont près de 70 nouvelles antennes 5G qui auront « poussé » entre novembre 2022 et novembre 2023 nous apprend le site antennesmobiles.fr. Si elles sont plutôt discrètes en ville, il est plus difficile de les ignorer à la campagne. À une époque où on vénère les télécommunications, les antennes-relais envahissent progressivement tous les beaux promontoires des montagnes, implantées souvent là où, auparavant, d’autres croyants avaient mis des croix ou des oratoires. Comme à Montchaboud où, non sans cynisme, l’une d’elles régnera sur le désormais malnommé chemin de Bellevue.

(1)

Notes

[1Yves Sintomer et Christophe Bonneuil, dans la préface de Richard Sclove, Choix technologiques, choix de société, éd. Descartes, 2003.